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Bernard SESBOÜÉ, Croire. Invitation à la foi catholique  pour les femmes et les hommes du XXIe siècle, Droguet et Ardant (Paris), 1999, 576 pages. pp. 304-308. 1. LA résurrection DE Jésus ET L’HISTOIRE : L’HOMME ET SON corps 1. Quelle historicité pour la résurrection ? Manifestement, les récits évangéliques changent de ton quand ils abordent la résurrection de Jésus. Autant la mise en croix et la mort de Jésus étaient pu-bliques – tout habitant de Jérusalem qui passait par là pouvait en être le témoin –, autant la Résurrection se trouve attestée de manière quasi confidentielle. Jésus ne se livre à aucune manifestation publique. Il se manifeste seulement à ses disciples, c’est-à-dire à des hommes et à des femmes qui l’avaient déjà connu et avaient commencé à croire en lui. L’annonce publique de la résurrection de Jésus fut le fait des disciples eux-mêmes. Pensons au discours de Pierre, situé par Luc au jour de la Pentecôte, et à son affirmation « formidable » : « Cet homme que vous avez fait crucifier par la main des impies, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes témoins » (cf. Ac 2, 23-24. 32). Mais ce témoignage se présente lui-même comme un témoignage de foi. Les apôtres sont des témoins qui parlent au nom de leur foi. S’ils ont reconnu Jésus ressuscité, ce n’est pas seulement avec les yeux du corps, mais aussi avec les yeux de la foi. Ce témoignage est donc très original. L’ORIGINALITÉ DES TÉMOIGNAGES DE LA RÉSURRECTION Prenons donc acte tout d’abord de la manière dont se présentent à nous les témoignages de la résurrection de Jésus. Ils sont originaux. Bien des aspects les distinguent des autres récits de la vie de Jésus. D’abord, personne ne se présente comme le témoin du moment même de la Résurrection. Jésus mort a été déposé au tombeau, puis le tombeau a été trouvé ouvert et vide. Certains aujourd’hui sont fascinés par l’idée de ce qu’aurait pu enregistrer une caméra située dans le tombeau au moment de la résurrection de Jésus. Elle n’aurait rien enregistré du tout, tout au plus une disparition. En effet, l’annonce de la Résurrection présente celle-ci comme un mouvement transcendant du corps de Jésus qui échappe à la continuité de notre espace et de notre temps, hors desquels nous ne pouvons pas penser notre existence. <305> Comme nous aurons à revenir sur cette double continuité, appelons-la désormais le continuum spatio-temporel, selon l’expression reçue. En ce sens-là, la Résurrection est pour nous mystère. Cette réflexion, exprimée ici en termes modernes, correspond bien à l’enseignement apostolique. Les récits des apparitions montrent que le mode de relation des apôtres à Jésus a complètement changé. Celui-ci n’est plus un compagnon habituel de leur vie. Il se manifeste et il disparaît selon sa libre initiative. Il vit désormais dans un monde « autre ». Nous voudrions beaucoup pouvoir décrire ce monde, mais comme il s’agit du monde de Dieu lui-même, il nous échappe totalement. Paul n’hésite même pas à parler de « corps spirituel » (1 Co 15,44), pour souligner la discontinuité entre le corps terrestre et le corps ressuscité. Nous pouvons donc dire que la résurrection de Jésus n’est pas la réanimation de son cadavre ni son retour à la vie temporelle, mais une arrachée à notre condition mortelle et une entrée dans le monde propre de Dieu . Ici, nous devons nous contenter de signes très discrets, donnés d’un côté par l’affirmation que son tombeau a été trouvé vide et de l’autre par le témoignage de ses disciples qui prétendent l’avoir « vu » vivant. Bien entendu, cette « vue » est elle-même paradoxale. Puisqu’ils n’étaient pas ressuscités, les disciples ne pouvaient voir le ressuscité tel qu’il est en lui-même au regard de Dieu. Mais Jésus a pris les moyens nécessaires pour se faire reconnaître d’eux. Le lecteur attentif des récits de la Résurrection sera sans doute surpris des divergences qui existent entre eux. On a pu parler de « l’anarchie des témoignages » (Ch. Perrot). Sans doute, la concordance dans l’affirmation majeure est-elle totale. Mais il est impossible d’« harmoniser” les récits et d’en reconstituer une séquence chronologique cohérente. Une telle entreprise est doublement vouée à l’échec. D’une part, la liberté absolue et transcendante des manifestations de Jésus se traduit par la discontinuité entre les récits. La Résurrection ne peut se raconter connue la Passion, parce qu’elle est d’un tout autre ordre. D’autre part, la multiplicité des témoignages devant un événement-choc aussi singulier entraîne inévitablement des différences et parfois des divergences. Nous sommes devant un « tumulte et un déferlement de paroles » (Ch. Perrot). Mais ces paroles ont l’intérêt de manifester l’indépendance relative des témoins. <306> Y A-T-IL DES PREUVES HISTORIQUES DE LA RÉSURRECTION DE JÉSUS ? À cette question il est impossible de répondre par OUI ou par NON, ou plus exactement il faut d’abord répondre NON pour ensuite répondre OUI. Cela n’est pas une réponse de Normand, niais une honnêteté qui correspond à l’originalité du fait, unique dans toute l’histoire humaine. Répondre NON d’abord. L’annonce de la Résurrection nous dit que le Christ est sorti de l’histoire avec son corps pour entrer dans le monde de Dieu. Toute science se définit à la fois par son objet et par sa méthode. Or aujourd’hui, il est généralement reconnu que la compétence de la science historique s’arrête avec les limites de notre continuum spatio-temporel. Cette science est donc incapable de parler du commencement absolu de l’histoire, comme de sa fin définitive. Si elle s’aventure sur ces terrains, elle se fait alors philosophie ou théologie de l’histoire. Or la résurrection de Jésus est présentée par ceux-là même qui l’annoncent comme un événement-limite : son avant est inscrit dans notre histoire (et de ce fait il peut être daté). Mais son après est une sortie définitive de l’histoire, comme nous l’avons vu, puisque Jésus est devenu « homme céleste » (1 Co 15,49) dont les caractéristiques sont l’incorruptibilité et l’immortalité, c’est-à-dire l’opposé des conditions de vie de l’homme terrestre et historique. Sur ce nouvel « état de vie » la science historique n’a plus aucune prise. À ce sujet, l’historien en tant qu’historien est dans la situation du médecin déjà évoqué et à qui l’on demande de dire ce qu’il pense d’une guérison miraculeuse. En tant que médecin, il ne peut que conclure au phénomène inexpliqué. L’historien cherchera lui aussi d’abord une interprétation qui s’inscrive dans l’espace et le temps. Il parlera de récit légendaire, ou bien il pensera spontanément à l’enlèvement du cadavre, ou bien encore il dira que cette disparition du corps de Jésus est inexplicable du point de vue historique. Il y a quelques décennies, un mauvais plaisant avait enlevé du cimetière où il reposait le cercueil de Charlie Chaplin. Personne n’a pensé à aucun moment à une résurrection et le corps fut retrouvé peu après. Bref, il ne peut y avoir de preuve historique d’un événement qui ne se situe pas dans l’histoire. La résurrection de Jésus n’est donc pas historique, parce qu’elle n’est pas justiciable, dans sa réalité positive, de la preuve historique, critique et scientifi-que. Elle est « transhistorique ». <307> Si elle n’a pas eu de témoin immédiat, c’est qu’elle ne pouvait pas en avoir. Pendant trop longtemps l’apologétique catholique n’a pas pris la mesure de la difficulté originale posée par la résurrection au regard de l’histoire, dans une culture marquée par la connaissance scientifique. Elle a trop facilement considéré qu’il existait des preuves historiques de la résurrection de Jésus analogues à celles de sa mort. D’autre part, au lieu d’analyser le mode original de la connaissance qui conduit à la Résurrection, elle a souvent transcrit les expressions traditionnelles de la foi en des termes tellement matériels qu’ils en travestissaient le sens. Ainsi la Résurrection a-t-elle pu être parfois décrite comme un retour de Jésus à sa vie antérieure. Dire que la Résurrection n’est pas historique n’engage nullement qu’elle ne soit pas un événement réel pour quiconque admet que le monde n’est pas défi-nitivement clos sur lui-même, mais qu’il est radicalement ouvert à la liberté de Dieu . Tout ce qui est réel n’est pas nécessairement historique au sens scienti-fique. La Résurrection est affirmée comme un événement réel arrivé à la personne de Jésus, homme de notre histoire. Répondre OUI ensuite : il existe des preuves historiques certaines que des hommes ont témoigné de cette Résurrection parce qu’ils y ont cru. Le témoi-gnage des apôtres constitue un ensemble de traces accessibles à la méthode historique. L’historien a ici toute liberté pour décoder et juger la valeur et le sérieux de leur témoignage. La Résurrection est aussi historique en tant qu’il s’agit d’un événement qui a une inscription dans l’histoire du côté de son avant. Elle reçoit de ce fait un ancrage dans cette histoire. Elle a un lieu et une date. Mais, par hypothèse, son inscription dans notre histoire ne peut se signifier que de manière négative. Cet événement est encore historique par les traces durables qu’il a laissées dans l’histoire. Pensons au vaste mouvement de ceux qui, à travers vingt siè-cles, ont cru et croient au ressuscité et font de la résurrection de Jésus le fondement de leur existence. L’ensemble des traces de la Résurrection, si elles ne sont pas des preuves, sont néanmoins des signes capables d’être rassemblés en un faisceau convain-cant pour celui qui croit. Discerner des signes est autre chose que de constater des faits. C’est s’engager librement dans le domaine d’une relation personnelle. <308> LA RÉSURRECTION ACCESSIBLE À LA FOI Reconnaître ce qui précède, c’est affirmer que l’événement de la résurrection de Jésus n’est accessible qu’à la foi. L’énoncé « Jésus est ressuscité d’entre les morts » n’est ni un constat empirique, ni le résultat d’une preuve scientifique. Il est l’expression d’un acte de foi qui inclut en lui un jugement raisonnable de crédibilité. Les données évangéliques illustrent bien ce fait. Jésus ne s’est fait re-connaître par ses apparitions qu’à ceux qui s’ouvraient à la foi en lui. D’autre part, les expressions primitives du message chrétien se présentent comme un témoignage rendu dans la foi au sujet d’un événement arrivé dans l’histoire. L’annonce de la Résurrection est elle-même un acte de foi. Aujourd’hui l’accès à la foi en la Résurrection n’est pas possible sans le témoignage rendu à la Résurrection par l’Église dans son ensemble. Ceci suppose que la réalité chrétienne constitue elle-même un témoignage de Résurrection qui s’exprime par la parole, la célébration et le rassemblement. L’existence chrétienne a pour vocation d’être une réalité déjà secrètement ressuscitée. La qualité du témoignage rendu par la vie des communautés chrétiennes est donc ici gravement en cause. Si la reconnaissance de la Résurrection est un acte de foi, elle engage une conversion de la liberté, effectuée dans la grâce de Dieu. Les disciples de Jésus ont vécu ce processus de conversion depuis leur dispersion incrédule et désespérée le soir du vendredi saint jusqu’à leur regroupement autour du ressuscité. Il en va analogiquement de même pour tout homme qui vient à la foi en la Résurrection.

2. Qu’est-ce qu’un corps humain ?
Qu’est-ce qu’un corps ? La réalité des corps peut être étudiée selon toute une échelle de points de vue scientifiques. Il y a les corps minéraux, dont on analyse la composition moléculaire et atomique. Il y a les corps vivants végétaux et animaux, qui sont étudiés selon leurs composants biologiques. On enregistre déjà un seuil entre le végétal et l’animal. La branche animale, des protozoaires jusqu’aux singes supérieurs, telle qu’elle est expliquée dans l’interprétation de l’évolution, se présente comme une série ascendante dans le domaine de la conscience et de la communication <309>, à mesure que le système nerveux est plus développé. Nous faisons l’expérience d’une communication affective avec les animaux domestiques.
Un seuil nouveau et radical est franchi avec le corps humain. Sans doute celui-ci assume-t-il tous les “étages » inférieurs de l’être corporel. Nous sommes faits d’atonies, de molécules, de cellules, de systèmes végétatifs et nerveux. Notre corps obéit à toutes les lois de la biologie. Pourtant, il dépasse celles-ci de manière décisive par sa conscience réflexive, par sa raison, par la capacité de son langage. 0n ne peut ici séparer trop facilement le corps et l’âme. Car tout ce que nous vivons est indissociable de notre corps.
C’est par lui que nous travaillons et pouvons agir sur la nature et transformer le monde. C’est par lui que nous pensons et parlons, entrant ainsi en relation avec les autres. Notre parole est immatérielle quant à son sens mais aussi très matérielle, puisque notre bouche articule des sons avec notre souffle. Quand nous écrivons, c’est encore par la médiation de notre corps que nous formons les lettres sur le papier ou que nous tapons sur les touches d’un ordinateur ; l’écriture de quelqu’un est jugée suffisamment révélatrice de sa personnalité pour donner lieu à des investigations graphologiques. C’est avec notre corps que nous aimons. Les gestes de l’amour passent par lui, tout en exprimant un sentiment qui va bien au-delà des sensations corporelles. Plus généralement, c’est dans notre corps que nous éprouvons joie et plaisir.
Notre visage a une mobilité constante qui nous permet de manifester toute une palette de sentiments délicats par le sourire ou le rire, les pleurs ou la joie. Ses expressions, en particulier les plus familières, celles qu’un peintre essaie de fixer, sont une fenêtre sur notre personnalité. Pensons aussi à la beauté spirituelle du corps humain dont tous les membres sont expressifs, en particulier dans certaines danses, ou dans certains exploits sportifs, où le corps apparaît comme transcendé. Toutes les formes de l’ait sont corporelles, puisqu’elles sont liées à nos organes des sens qui les produisent et en reçoivent jouissance. Elles sont pourtant le lieu d’une expérience spirituelle.
Notre corps est aussi le lieu de notre souffrance, non seule-ment physique niais morale. Où est d’ailleurs la frontière exacte entre les deux ? L’angoisse intérieure, un grave échec sentimental ou professionnel ont des incidences corporelles. De son côté,